Explorer le plaisir par la douleur

In real life, Paul est un homme très indépendant, autonome, réfléchi, intelligent (très intelligent) et occupe un poste à hautes responsabilités. Il n’aime pas qu’on lui dise ce qu’il a à faire. De nature contrôlante, il faut toujours qu’il s’approprie les suggestions extérieures à lui avant de passer à l’acte. Il est comme ça. Nous nous sommes très vite revus après la séance photo, le lendemain en fait. Dans nos premiers échanges par sms, il écrit à “my Lady E.”, utilise le “Madame” et au moment de quitter le concert objet de notre deuxième soirée, il n’hésite pas à dire « on fait comme tu veux, c’est toi qui décide de toutes façons »… Cela ne m’a pas du tout attiré, j’ai craint alors d’avoir encore affaire à un énième soumis. En cette fin d’année 2018, j’ai eu le temps d’explorer mon côté domina avec le Vieux, mon soumis tantrika et ElleLui. Je n’ai pas trouvé l’équilibre qui me convient et la perspective d’une nouvelle relation de ce type ne m’enchante guère.

Comme j’ai décidé d’être encore plus franche que par le passé, je l’en informe dès le lendemain, ce qui lui donne l’occasion de me préciser que tout cela n’est que de l’humour, une forme d’humour, du second degré dont il est fort adepte, et que visiblement je ne comprends pas… toujours pas… Ce mode de communication est aux antipodes des principes de parole impeccable que j’essaye d’appliquer depuis plusieurs années. Il va me falloir du temps, beaucoup de temps, et de couacs, pour que je comprenne enfin ce qu’il a derrière la tête. Un vrai challenge perturbant et stimulant, qui nous donne du fil de retordre en permanence. Bref, tout cela pour dire que non, Paul n’est pas un soumis, et n’a pas envie de le devenir, ce qu’il exprime très clairement depuis le début. Mais c’est sans compter sur mon envie, finalement, de lui faire découvrir le bdsm, à ma manière. Alors qu’il joue à nouveau à me répondre “D’accord Chef, bien Chef”, je le prends au jeu et entame un échange sur ce ton, qui nous amènera à sa séance d’initiation.

Il a visiblement apprécié d’être attaché, la douceur des cordes le stimulant suffisamment pour qu’il en redemande. C’est au cours de nos journées “grotte”, celles où nous décidons de nous occuper que de nous, que j’ai parfois expérimenté sur lui quelques techniques, de façon très ludique et joviale, sans amener un contexte plus sophistiqué de scénario. Il n’est pas encore prêt à se laisser guider. Il a ainsi goûté aux pinces à linge sur les tétons (zone très très érogène et sensible pour lui), au petit martinet léger mais cinglant, ainsi qu’à celui à neuf brins, dont j’ai pris la précaution de jouer avec sensualité et douceur. Le tout s’agissant de ne pas le faire fuir non plus. Toutefois, il ne semble pas accéder à ce plaisir de masochiste que je connais si bien, y trouvant seulement l’intérêt du contact physique de la peau que je prends soin d’entretenir. Il n’en redemande pas, et le temps passe. Il apprend à se servir de ses mains pour me fesser, et me faire jouir de la plante des pieds, ce qu’il pratique régulièrement à son initiative. Mais je n’ai pas l’impression qu’il comprenne vraiment l’effet produit sur mes sensations.

Nous en sommes donc là, depuis sept mois, quand une petite phrase jetée comme à la légère dans une série que nous regardons me fait réagir vivement. Voilà ! C’est cela dont il s’agit ! Mais comment peut-il l’intégrer intellectuellement ? Série Netflix du nom de Gipsy, dans l’épisode 8 (Marfa) où le personnage dit : “Sydney parle de “bonne douleur”. Cette limite entre la souffrance et l’extase totale. Les toxicos doivent ressentir ça quand ils se shootent.”. Il décrit ensuite une scène plutôt cérébrale et conclut qu’il n’a jamais joui aussi fort que pendant ces moments là. Nous avions déjà abordé un peu le sujet avec une autre série très courte, “Bonding”, où l’aspect cérébral des séances de bdsm était plutôt bien abordé à mon goût. Espérant inconsciemment, ou consciemment, que cela fasse son chemin dans son esprit, lui qui doit tout comprendre avant d’agir. L’épisode terminé, toute émoustillée, je m’adonne à le caresser lentement, cherchant à éveiller ses sens, et ce sont ses pieds qui vont me donner envie… de les frôler, de les tortiller sensuellement, de passer mes doigts puis ma langue entre ses orteils, de les mordiller jusqu’à les lui frapper paume contre plante. Ses gémissements non contenus m’ont indiqué qu’il accédait aussi à ce plaisir des pieds… et c’est après qu’il eut joui dans ma bouche qu’il me demande de lui traiter le dos, pour l’amener au plaisir par la douleur. Enfin…

L’envie d’un nouveau scénario pointe le bout de son nez très rapidement, et dès le lendemain matin, je lui écris via mon e-mail de domina qu’il connaît maintenant :
– Monsieur,
Votre chérie m’a fait part d’une demande que vous avez formulée hier soir… elle me charge de répondre à votre envie d’apprendre à jouir de la douleur.
Aussi, je serai présente ce soir dans votre salon pour une petite séance d’initiation. Vous aurez les yeux bandés, vous serez bien évidemment attaché, debout, et pour le reste, je vous en réserve la surprise. Avez-vous des observations à formuler ?
– Nan, aucune
– Parfait ! Pour la formule de politesse c’est toujours en option à ce que je vois…
– Point du tout chère Madame – tout du moins en règle générale. Il est vrai que Monsieur a pu être interpellé par la perspective d’une nouvelle sortie de sa zone dite de confort, auquel cas il vous prie d’accepter ses excuses les plus plates ! Avec mes sentiments les meilleurs, Monsieur
– Et ben voilà ! Il ne faut pas se faire décontenancer aussi vite. Vos réactions vous trahissent…
– Trahissent mon goût du second degré – absolument Madame !

Le soir venu, tandis que nous retrouvons avec plaisir notre quotidien, nos rituels et nos habitudes, je prépare dans ma tête les rudiments de ma mise en scène. Je prends alors conscience que si j’apprécie autant mes cours de théâtre d’improvisation et d’appartements depuis un an, c’est justement parce que cela correspond parfaitement à mon mode de fonctionnement pour les jeux que je mets en scène. Un contexte, une situation, un thème, quelques accessoires et tenue indispensables, et pour le reste, je fais avec ce que j’ai et surtout ce qui me vient sur le moment, sans résistance aucune (je n’en ai alors pas le temps). C’est comme cela que je me retrouve à lui faire une initiation au trampling que je n’avais absolument pas anticipée. Mais avant cela, il va me falloir le mettre en confiance, le guider et surtout l’amener à se soumettre intellectuellement et physiquement. C’est en tant que compagne de vie que je l’amène donc dans le salon, dans sa tenue d’Adam qu’il avait adoptée dès son arrivée à la maison, et que je lui pose le bandeau sur les yeux. Avant de le laisser entre les mains de ma “complice”, je le prends en photo-souvenir-de-l’instant, l’embrasse amoureusement et lui souhaite un bon moment. Il a l’air détendu, je suis assez rassurée pour la suite des évènements.

J’entre donc en scène, chaussée d’escarpins à talons hauts, que je ne manque pas de faire sonner sur le parquet (et tant pis pour les voisins). Une façon de provoquer son imaginaire et d’imposer ma présence féminine. Je m’adresse à lui, alors qu’il est légèrement vautré sur mon fauteuil Emmanuelle, pour m’enquérir de son état. A peine commence-t-il à me répondre, qu’il relève le tutoiement que j’ai utilisé (sciemment), en s’en offusquant. Le ton est donné, il veut faire son malin et je vais le corriger immédiatement. Je l’informe donc d’une voix très ferme que je le tutoie, et qu’il doit me vouvoyer, ainsi que finir toutes ses phrases par “Madame”. Bien évidemment, il échoue à la première occasion qui lui est présentée ! Je m’en offusque à mon tour. Et, au bout de trois fois, il arrive enfin à m’appeler “Madame”, d’une voix qui se veut douce et obéissante. C’est à ce moment là que j’ai commencé à comprendre qu’on allait être compatible, et que j’ai à nouveau senti monter en moi cette excitation que le jeu peut provoquer. Une excitation purement cérébrale.

Pour faire le lien avec notre échange épistolaire de la matinée, je l’interroge sur la nature du second degré qu’il a pu y voir. Je n’obtiendrai évidemment aucune réponse acceptable, ce qui m’amènera à lui interdire strictement l’utilisation du second degré dans le jeu. Il est en effet indispensable que je sache précisément ce qu’il ressent et pense, au risque que le jeu devienne sérieusement dangereux. Et non amusant. Alors, il ne reste plus qu’à réviser les codes de sécurité, qu’il est censé avoir déjà appris lors de sa toute première initiation. Visiblement, il n’en a aucun souvenir… Vert pour encore, plus fort ; Orange pour moins fort, arrêt de la technique ; Rouge pour arrêt total du jeu. Il répète scrupuleusement. Ceci étant posé, je l’invite à se lever. Il reste debout face à moi, ne sachant quoi faire. Je lui demande si c’est une tenue ! Je parlais de sa posture mais comme il est très précis, il me répond qu’il est en effet dans son plus simple appareil (cela me confirme rapidement le niveau du bonhomme, qui va m’obliger à me surpasser). Il va y avoir du level. Je lui rappelle son environnement proche, puis lui ordonne de s’allonger au sol de manière à ne pas se blesser. Je sais qu’il perdra rapidement le sens de l’orientation, n’étant pas équipé d’un outil très performant par nature. La musique se met en marche : une playlist de hard rock trouvée à l’instant sur mon application Spotify. Il adore le hard rock des années 70, pourvu que la playlist soit bonne…

Tout en démêlant mes cordes au-dessus de son corps, je l’interroge sur ce qu’il imagine de ma tenue : du latex ou autre matière. Le coup classique. Et bien non ! Je ne vais tout de même pas porter cette matière alors que je sais qu’il ne l’aime pas. L’objectif est de lui faire comprendre que je ne suis pas là pour me faire plaisir en premier, mais bien pour lui, pour que son désir soit décuplé, pour que son ressenti soit multiplié, pour que son plaisir soit amplifié. Comment pourrais-je y parvenir si je n’utilise pas ce qu’il aime, ce à quoi il est sensible. Pour les chaussures, il mentionne un modèle à plateau. Quelle idée ! Mais il me vient alors celle de lui faire sentir le côté bien pointu de mon talon, et j’entame un parcours de son corps de mes pieds chaussés. Je l’interroge rapidement : il préférerait le toucher de mon pied nu. Cela ne m’étonne guère. Il mérite bien une petite séance de trampling si je lui fais cet honneur ! Après lui être montée dessus de différentes façons, debout, accroupie, avec les genoux et les mains, les coudes et le reste de mon corps étalé sur lui, il émet son premier mot de sécurité orange. J’avais pourtant fait attention à ne pas lui appuyer sur le ventre (que je sais fragile), mais la limite a été atteinte.

Quand il se relève à mon ordre, je lui tends le bout de ma jarretelle pour qu’il devine ma tenue. Il mentionne une corde, puis une lanière en cuir… Il ne semble pas savoir à quoi ressemble au toucher une jarretelle… je ne saurais jamais s’il jouait au plus bête qu’il ne l’est… mais je penche pour cette version. Je lui lance un “t’es nul ! Tu ne sais donc pas ce que c’est ?”. Il persiste. Je l’insulte à nouveau (gentille insulte pour commencer l’approche de l’humiliation). Comme je le vois esquisser un léger sourire, je lui rappelle que le second degré n’est pas de mise. Maintenant, il peine à se repérer dans l’espace, ce qui m’oblige à lui donner quelques repères auditifs. Je frappe aux deux coins de la longue table monastère, pour qu’il réussisse à se placer au centre. Mon portique de fond photo va se transformer en barre de suspension le temps de la séance. C’est ici, pieds et poings liés, qu’il va subir toute une série de sévices, allant du martinet à la fessée, des griffes au pincement, entrecoupés de caresses. Il remarque à haute voix que je peux être douce. Croyait-il vraiment que j’allais lui infliger de la douleur sans contrepartie ?

Je lui ai laissé le choix d’utiliser le code vert pour me guider, ou bien juste le code orange pour annoncer la limite. Il choisit la deuxième option, mais cela ne me permet pas de lui faire atteindre la zone de plaisir, parce qu’il dira “orange” quand l’exercice basculera dans une vraie douleur devenant insupportable. Or, ce n’est pas le but à mes yeux. Je lui explique donc que s’il procède par le code vert, ce sera à lui de me guider pour justement ne pas dépasser la limite du supportable et ressentir peut-être les prémisses d’une forme de jouissance nouvelle. Il comprend très vite et s’exécute immédiatement. Et ce petit jeu va parfaitement fonctionner pour la “torture” de ses testicules. Je sais qu’il aime que je les attrape, avec cette sensation de m’appartenir. Le code instauré va lui permettre d’aller bien au-delà des pratiques habituelles. Au point qu’il ne dira jamais le code orange, et que nous allons partir tous deux dans une forme de trans, emportés par l’intensité de la situation pour ma part, des sensations pour la sienne. Je le récompenserai de sa bonne conduite par une jouissance manuelle qui le fera exploser fortement, mes mains finissant de le caresser tendrement pour signaler la fin de la séance.

Avant de le remettre entre les mains de son amoureuse (je tiens à ce qu’il fasse clairement la différence entre sa maîtresse et sa femme), je lui enjoins de me faire un compte-rendu par e-mail qu’il aura à me faire parvenir au plus tard le lendemain minuit. Et quelque chose de développé, sur ses ressentis et sensations. Voici ce que j’ai reçu avec quelques heures d’avance :
“Madame,
Comme requis expressément par vous, je soumets à votre lecture le compte-rendu détaillé de la séance d’initiation que vous avez bien voulu me prodiguer en votre salon hier.
Si vous le permettez, puis-je d’abord vous confier que j’ai beaucoup aimé jouer avec vous et suivre toutes vos injonctions ? Je vous avoue apprécier de manière générale le caractère ludique des choses, ou de certaines choses (si tant est qu’elles soient bien faites…).
Je souhaite préciser également qu’à aucun moment, entre vos mains, au cours de notre jeu, je ne me suis senti en danger – et n’ai donc pas été amené à prononcer ou mettre le rouge ! En suis-je pour autant résistant ?? Je m’en remets à votre grande expérience Madame.
Du côté de mon ressenti : certaines douleurs ou formes de douleurs me touchent (plaisent ?) plus que d’autres – griffures, serrage de ma peau ou de mes parties intimes… Il semblerait que ce soient celles qui passent par vos mains. C’est aussi une question d’imagination ou d’intellectualisation associée à vos gestes, à leur sens. De sensualité, ou de représentation de votre sensualité par mon esprit. A moins qu’il ne s’agisse de sentiments naissants à votre encontre ??
Je comprends et pense commencer à intégrer le cheminement vers le plaisir à travers le passage préalable par la douleur, de plus en plus intense. Je reste bien évidemment conscient d’en être aux prémices de votre initiation dans ce sens.
Est-ce que vous me permettriez, Madame, dans ce cadre, de solliciter auprès de vous une prochaine séance autour d’un unique accessoire : les cordes ??
Je n’ose commencer dès lors à fantasmer sur cette perspective…
Votre soumis, Paul G.”

Quelle fulgurante métamorphose ! Lui à qui j’ai demandé il y a encore quelques semaines de me soumettre, en me mettant à sa disposition et le laissant libre de faire marcher son imagination. Proposition qu’il a rejetée fermement, refusant même de se documenter en parcourant à peine la fabuleuse littérature de Janet et Dossie – “L’art de dominer” et “L’art de se soumettre”. Me plongeant dans une certaine mélancolie, pour ne pas dire désespoir, de devoir renoncer à jamais à jouer avec lui… Je reste troublée par cette étrange sensation fascinante que me procure l’application de gestes de douleur pour accompagner la montée du plaisir. Cette forme de responsabilité et de satisfaction mêlés. Le pur plaisir de l’autre.

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