Je ne suis pas travesti, je suis un clown introverti !

Épisode 7 par Quentin Duberne

Ce n’est pas simple de se libérer de ses chaînes, avec le poids de l’habitude, je ne les sens plus comme une contrainte, mais faisant partie intégrante et intégrales de mon existence. Ce n’est pas par plaisir que la soumission peut apporter lorsqu’elle est consentie, c’est un mode de fonctionnement que l’on m’a imposé sans mon approbation ni mon acceptation ; par conviction, par bêtise, par ignorance, par sadisme, par jalousie, par peur, par incompétence, voire par désir pour sa propre personne… peut-être.
Partir pour tenter une renaissance, quelque part, loin ou juste à côté, reprendre son libre arbitre, la liberté d’exister pour soi, pour une fois, plutôt que pour les autres, trouver la force de recommencer… Enfin seul, chouette !
Cela fait un bien fou de se retrouver, voire de se découvrir simplement, vivre que pour soi. Être seul ! j’entends physiquement seul. C’est rare. Je ne me suis jamais senti aussi isolé que lorsque le nombre de personnes atteint le chiffre vertigineux de deux, trois ou quatre en fonction des saisons et plus si affinités. Plus le monde m’avale, plus je me sens seul, cela devient même pesant de solitude, une mise à l’épreuve, les gens caquettent autour de moi, et racontent, à qui veut l’entendre des banalités sans noms, ils jettent du venin sur toutes celles et tous ceux qu’ils n’ont pas réussi à soumettre. Je m’ennuie.

Je suis un solitaire.

J’éprouve de grandes difficultés à me connecter aux autres, peut-être une impossibilité en outre. Ce n’est sans doute pas de leurs fautes. Cela fait maintenant pas loin de deux lustres et demi que je suis seul et que je ne m’y suis pas accroché, vraiment seul, reclus… j’en arrive à un point où cela devient assez insupportable. Il me serait agréable d’exister à deux ou plus. Ce n’est pas que je souhaite rester en permanence avec quelqu’une près de moi, comme un égoïste à vouloir capturer la liberté de l’autre, mais quelques émois de temps en temps, ça me ferait sûrement un bien fou surtout si cela se partage, et réciproquement. Rencontrer ! trouver quelqu’une avec qui échanger, pas que des fluides corporels, mais des mots, de l’envie, les maux de la vie, jouir du moment présent, mettre à bas le passé sans penser au futur. Compte tenu des difficultés qui m’entravent encore, ce n’est pas gagné !
Tenez ! rencontrer quelqu’une, je le ressens comme un entretien d’embauche. C’est terrible ! je n’y arrive pas plus dans le domaine. C’est toujours une épreuve pour laquelle je n’ai aucune aptitude ; quel crétin je fais ! La dernière fois, j’ai eu l’impression de passer devant un tribunal. Trois femmes en face de moi — pour un emploi de comptable —, je me suis retrouvé tétanisé, un moins que rien, et c’est encore beaucoup ! J’ai déjà des difficultés avec une, alors avec trois !

« O se(x)cours » – Pascal Auberson, Ange rebelle, 2013.

Faisant preuve de misanthropie, voire carrément demeurer un sauvage misanthrope.

Je suis, moi et mon amie intérieure dans la recherche de l’autre, mais les humains m’insupportent. J’ai mal au genre humain ! Enfin, surtout à une moitié, la partie qui se prend pour ce qu’elle n’est pas, supérieure — en rien — à la seconde — la principale polarité de mon attention. L’homme, le mâle, n’a jamais orienté mes sens dans sa direction. Le féminin m’attire, d’elles — pas de toutes —, la grâce, la volupté, l’intelligence débordent de sensualité. À la recherche de ma féminité, la part de « x » détachée du « y », celle qui ne se voit pas, que je ne soupçonnais nullement, fantôme ; la part de « x » qui voudrait s’attacher à des « xx » s’aimanter, « s’amanter », « je suis lesbien » (“l’”est-ce bien raisonnable ?). Devenir triple « x » sans tourner à la pornographie « XXX » !

« Fais-moi du bastringue » – Pierre Meige, Sape pas mon swing, 1990.

Malgré tous mes efforts pour résoudre le problème, mon côté ours en cage, les obstacles se dressent devant moi, dès que je parviens à en abattre un, le suivant sublime son arrogance, érige encore un peu plus haut que le précédent ses épines, ses lames à doubles tranchants ; ça me pique au vif, je pleure sur ma douleur de vivre. C’est idiot !?

« L’individu est foncièrement social et ne peut s’épanouir qu’en société […]. Mais il ne l’est pas moins que ce même épanouissement n’a de sens pour lui que si la société, la communauté, la famille […] le couple, “lui-même” ne l’étouffent pas.* »

Depuis quatre semaines que j’ai commencé ce texte, puis abandonné pour une énième période de troubles dépressifs alimentée par le poison médicamenteux, blanc, rose, rouge, le goût de la corde. Je me suis pendu une bonne cinquantaine de fois. Quelle bêtise ! d’engendrer des êtres qui vous font regretter d’être encore vivant, pas pour eux — ils sont pour le mieux —, mais que je ne peux m’exécuter sans provoquer douleurs et incompréhensions. Je ne souhaite pas laisser en héritage les bagages que l’on m’a transmis.
Trouverais-je un jour ma place dans ce monde ? Dois-je m’inventer l’autre en m’aidant de celle qui m’habite ? Cela m’aiderait à survivre, la tentation grandie. Quelques jalons en place d’elle, petite Poucette qui « s’aime » les cailloux que je régurgite de mes chaussures à talons, aiguilles à détricoter le filet ; je suis le lion, elle sera la ratte — peut-être.
Je cherche l’autre, j’ai envie de l’autre, alors je me l’invente, profitant de celle qui est en moi — mon côté féminin —, c’est la force qui m’aide à tenir debout, c’est celle qui me manque quand je suis loin de moi, quand la désespérance frappe à la porte, quand elle s’empare de ma douleur.
Physiquement, je n’ai rien de traits féminins ! Le visage anguleux, l’arc sourcilier proéminent, l’œil profondément enfoui sous ce surplomb osseux, le sourcil épais, le nez de travers et large et suffisamment long pour doubler Cyrano sans maquillage, des lèvres charnues, une bouche trop mal placée, et pour couronner le tout, des oreilles en choux-fleurs. Quelle autre femme pourrait vouloir de moi ? Comment pourrais-je la désirer ? En sortant de la carapace que je me suis construite pour me protéger du monde, comme un moine singulier. Tel un bernard-l’hermite, j’abandonne la coquille devenue trop petite pour une plus digne, à la dimension de mes espoirs, à la hauteur de mes sentiments à venir.

La sentir tout contre moi celle que j’aimerais, peau contre peau, chair contre chair, cette vue de l’esprit. Accepter une forme de féminité, le vêtement — bien que convaincu que les bouts de tissus dont nous faisons tant d’affaires ne possèdent pas de genre —, la société m’enserre dans un carcan, corset de soumission et de tyrannie, dont je n’aurais pas le droit de sortir !? Au diable ! qu’elle aille au diable. Je ne crains pas ses cancans. Je vais m’accepter comme je suis, fétichiste de la lingerie féminine au point d’en porter plus que régulièrement et de ne plus m’en cacher. Dans l’attente de ma dulcinée, celle que j’attends, celle que je cherche, sans que la rencontre — mais, je l’espère inéluctable — se soit produite, toujours en embuscade prête à bondir de sa boîte à malices, diablotin qui me tire par les pieds. Le courage qu’il me manque, le désir qui me hante, le courage de l’exprimer, le plaisir des désirs ; les petits plaisirs des bouts de chiffon, passer une jambe puis l’autre, culottes de satin ou de dentelles, sensations de liberté.

« Les miroirs dans la boue » – William Sheller, Univers, 1987.

Fantasmes ou réalité ?

Une jambe, remonter un bas sur le mollet — la gauche en première, je ne perds pas mes ancrages pour autant — saisir la jarretelle avant et y accrocher le haut du bas, poursuivre l’opération par celle à l’arrière — un peu plus acrobatique —, la troisième trouve sa place aisément. Je reprends la tension de ce doux voile depuis l’extrémité du pied, je remonte tranquillement avec délices, une suave caresse le long de ma jambe maintenant si féminine, la plante du pied, la cheville, le mollet ferme, le genou, la cuisse musclée puis retour à la peau brute ; mon pénis s’est pris d’un enthousiasme soudain. Ce chibre turgescent appelle par quelques contractions pelviennes mes mains à le visiter en aller-retour. Non ! attendre, voilà l’autre jambière enclenche la fantasmagorie, une perle incolore et brillante naît de l’excitation, qui du méat coule pas, un peu de sang-froid, patience, je ne culpabilise pas. Je suis contraint de m’autoérotiser pour survivre !

«L’Arlésienne» − Véronique Rivière, Éponyme, 2005.

La dernière fois qu’une femme a montré un certain intérêt pour moi – ici l’ambiguïté domine, est-ce elle ou moi qui avions des yeux de Chimène pour l’autre ? –, j’ai contourné l’obstacle, réalisé un évitement par un singulier pas de côté afin de ne pas affronter une réalité qui me pourchasse — bien que désireux du contraire — ; la rencontre me perturbe au point de tenter la chose la plus incroyable, brûler d’envie d’ouvrir mon cœur, mais souffrant des plaies brûlantes de la réserve où me confine la timidité. Poser mon cœur sur la table.
C’était en juin 2018. Bientôt une année de perdue. Lors d’une assemblée générale d’une coopérative, pas le genre d’endroit où les rencontres sont possibles, voire même envisageables ! j’ai dans l’idée que les rencontres ne sont possibles que là où je ne suis pas. En fait, quelques semaines plus tôt, j’avais envisagé la possibilité d’une rencontre dans ce type de réunion, je m’étais octroyé le droit de me botter les fesses, d’agir pour sortir de mes pensées malsaines, me donner la possibilité d’être moi.

« Animal K » – Lisa Portelli, Le régal, 2011.

Le jour dit, environ dix heures, le réveil fut difficile avec le vin de la veille, le moral dans les talons, se rendormir, je sais ce que je me suis promis, je n’irais pas… onze heures, c’est trop bête ! Le sujet me concerne, je ne rencontrerai personne, ce n’est pas une raison pour renoncer et puis le soleil est au rendez-vous. Belle journée pour un grand tour de Paris, à vélo, c’est déjà ça ! Je peux toujours rêver.
Une arrivée digne d’un artiste sur la scène du Casino de Paris, un grand escalier à descendre pour atterrir au milieu d’une foule compacte, cela aurait pu être grandiose, ce fut pathétique ! Je suis à la limite d’opérer un demi-tour, l’angoisse presque agoraphobe, je prends sur moi.
Dans ce genre de réunion, je n’ai jamais trouvé ma place. Je rencontre toujours des difficultés à me connecter aux autres, c’est systématique. Je ne sais pas où se situe le problème, mais voilà après quelques heures, je m’ennuie profondément. Je n’ai pas parlé à plus de deux ou trois personnes… et encore je compte parmi ceux-là la personne qui s’occupe du buffet végétarien.
Dix-huit heures, dans une heure c’est l’apéritif de fin ; sur la scène, un comédien quelque peu déstabilisé par les conditions dans lesquelles il opère sa prestation, je m’en amuse plus que de ses propos, je compatis à la difficulté de l’exercice.
Bon, je m’ennuie, je piétine, je tourne la tête sur ma droite, attiré par la sensation d’un mouvement. Là, une jeune femme, un sourire gigantesque auquel je réponds gentiment, mais plus simplement. Je m’ennuie. Je n’ai pas compris son appel ! Je m’ennuie.
Dix-huit heures trente, je me dirige vers le grand escalier, la remontée sera lente ou énergique, je verrai bien. Une jeune femme traverse ma ligne de marche, un grand sourire, je ne la reconnais pas, c’est pourtant la même damoiselle ! Impossible de vous la décrire. Je file vers mon objectif, les tripes qui me serrent, la respiration qui se bloque, apnée de l’éveil et insuffisamment d’oxygène pour alimenter le cerveau, aucun raisonnement, que le vide qui résonne. Je crois que je n’arrive à penser qu’en haut de l’escalier, si elle me suit, j’oserai. Trop tard, le train ne passe qu’une fois ! Pourquoi ne suis-je jamais en mesure de me conduire comme je le souhaite pourtant ? C’est une histoire sans fin.
J’ai probablement le double de son âge, je ne suis pas un animal qui saute sur tout ce qui bouge, j’ai trop de respect pour les gens bien.

« L’escargot » − Sarah Toussaint-Léveillé, La Mort Est Un Jardin Sauvage, 2016.

* La révolution sexuelle a […] rendu le sexe tabou. https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2000-1-page-85.html
Les tribulations du couple dans la société contemporaine et l’idée d’un amour libre, Vincent_Citot, Le Philosophoire 2000/1 (n° 11), pages 85 à 119.

Interlude 1

« Je tiens de nouveau à vous parler un instant, cher monsieur […], bien que je ne puisse rien dire qui fût de quelque secours, et sois à peine en mesure d’écrire quelque chose d’utile. Vous avez eu de nombreuses et grandes tristesses qui sont passées. Et vous dites que même le fait qu’elles aient passé vous a été pénible et fut débilitant. Mais demandez-vous, je vous en prie, si ces grandes tristesses ne vous ont pas traversé plutôt qu’elles n’ont passé ? Si bien des choses en vous ne se sont pas transformées, si vous-même quelque part, en quelque endroit de votre être, vous n’avez pas changé tandis que vous étiez triste ? Seules sont dangereuses et mauvaises ces tristesses que l’on porte avec soi parmi les gens afin de couvrir leurs propos. Telles des maladies, traitées superficiellement et de manière aberrante, elles ne font que reculer pour faire d’autant plus irruption après une courte rémission ; et elles s’accumulent en vous, constituent une forme de vie non vécue, méprisée, gâchée, une forme de vie dont on peut mourir. »
Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, traduction Marc B. de Launay.

L’épisode précédent est ici…

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