Une nuit fauve

C’est cette nuit là qui m’est revenue en tête en écoutant le titre phare du collectif Fauve, après m’être demandé quelle nuit a été fauve pour moi. Particulière par son contexte, particulière par son intensité, particulière par le monde des possibles qu’elle me permettait de toucher dès le début de mon ère polyamoureuse. Nous sommes donc au printemps 2014, une nuit que je vais vivre avec deux hommes, D. (mon premier polyamoureux) et S. (celui qui deviendra mon amireux). Avec le premier, je vis un début d’histoire d’amour à distance la plupart du temps, passant mes journées en conversation messenger, à découvrir nos points communs, nos envies, nos différences. Il est arrivé virtuellement dans ma vie via ce média d’ailleurs, à peine quelques semaines auparavant. Au retour d’un voyage chez une de ses amoureuses, je l’héberge sur mon canapé, lui et sa basse. C’est comme ça que nous ferons connaissance. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, poursuivie par cette envie de le rejoindre de l’autre coté du rideau qui séparait ma chambre du salon où il essayait de dormir. Mais il devait être possiblement encore trop imbibé d’elle pour que j’arrive à franchir le tissu. C’est ce soir là que j’ai envisagé concrètement de me mettre à cet instrument que je convoitais depuis plus de quinze ans, n’osant pas passer des cordes d’une “queue” aux cordes d’un “manche”. Aujourd’hui, sa première basse trône encore dans mon salon.

Bien évidemment, l’envie de nous revoir l’a fait revenir très vite, un aller retour dans une nuit (de Besançon), histoire de goûter nos attirances réciproques. De son côté, il avait deux relations régulières, et quelques sexfriend en plus. Du mien, deux ex devenus, pour l’un un plan cul régulier amical, pour l’autre un amoureux mono essayant de s’accrocher à l’histoire tant mal que bien. Et S. qui m’apparaît curieux, avide de nouvelles expériences, toujours partant et rassurant. C’est ainsi que pour notre deuxième ou troisième nuit, me vient l’idée de lui proposer un plan à trois un peu particulier. C’est tout aussi nouveau pour lui que pour nous, que pour chaque protagoniste en somme. L’idée est de nous retrouver tous les deux à faire l’amour en étant écouté par mon amoureux se trouvant à 600 km de nous. Par téléphone seulement. Je ne veux pas qu’il nous voit. Je trouve cela beaucoup trop osé et gênant à l’époque. Je ne sais pas encore que je suis exhibitionniste, mais ce sont ces petites idées qui peuvent sembler parfois farfelues, et qui sont pourtant les moteurs de ma boîte à fantasmes. Si je les écoute, si je les réalise, alors d’autres naissent dans mon imaginaire érotique.

Nous voilà donc aux prémices d’une soirée où je vais apprendre à gérer deux partenaires. Mon premier trio, en quelque sorte. Je prends donc soin de vérifier que les deux protagonistes sont à l’aise avec la situation, ne les connaissant finalement pas beaucoup ni l’un ni l’autre, et comme pour tous les scénarios que je vais réaliser par la suite. Bien qu’à distance, je vais rester très proches intimement de mon amoureux, et plus distante avec mon amant pourtant présent physiquement. Comme pour assurer une sorte d’équilibre précaire entre la distance physique et la distance sentimentale. Je ne vais pas hésiter à utiliser les mots tendres et les “je t’aime” à l’attention de D. sans m’en cacher de S. (qui n’y aura jamais droit d’ailleurs). Une précaution nécessaire à ce que D. ne se sente pas exclu du trio, ayant évidemment la position la plus délicate à jouer. Situation qu’il va finalement réussir à retourner au cours de la nuit, à mon plus grand étonnement, et plaisir. Mais avant cela, il va “auditivement” assister à nos ébats érotiques, de manière silencieuse. Tout est nouveau pour moi, je marche sur des œufs, j’avance à tâtons, espérant ne causer aucune maladresse engendrant un quelconque malaise que j’aurais sûrement du mal à gérer compte tenu de la distance. Malgré moi, je vais faire attention à l’expression de mon plaisir, pour trouver le juste équilibre. Pour qu’il entende assez et que ça l’excite, et ne pas trop en faire pour qu’il ne devienne pas envieux.

La scène date de trop longtemps pour que les détails soient assez précis à décrire, mais comme à chaque fois, je sais avoir pris du plaisir, énormément de plaisir. Avec sa langue et ses baisers langoureux. Avec sa gourmandise légendaire et ses gémissements expressifs. Avec sa capacité à jouir et à repartir instantanément, engendrant un deuxième round beaucoup plus long. Avec l’amplitude de son anatomie sexuelle… qui n’en finit pas de m’emplir et me faire jouir à mon tour. Avec ses longues caresses et câlins d’après coït que j’ai toutefois écourtés pour prendre la température de l’autre côté du fil. D. est toujours là (ce que je n’aurais pu vérifier avant, par respect pour mon partenaire physique), et me confirme son excitation, son plaisir à m’entendre, sa participation virtuelle à notre séance sensuelle et torride. Ouf ! Pari réussi… pas gagné d’avance. J’ai envie de rester à lui parler encore, tout en étant gênée de laisser celui sans qui rien n’aurait été possible. Coup de chance, il reçoit aussi un appel qu’il n’hésite pas à accepter, me voyant occupée. J’ai beaucoup apprécié ce temps partagé seul à seul (malgré le côté virtuel) avec mon amoureux, pour être sûre que tout allait bien pour lui, et que mon idée n’était pas si saugrenue que ça. Car pour moi, ça été le top ! Très excitant, et confirmant avant l’heure mon attirance réelle pour la pratique du sexe à plusieurs, et encore plus avec des sentiments (situation que je vais d’autant plus apprécier qu’elle ne se reproduira pas si souvent que cela). Et la tournure des évènements ne va faire qu’affermir cette position.

En effet, je suis aux anges d’apprendre qu’il a été suffisamment excité (ou trop excité) pour s’enquérir également d’une partenaire de son côté. Il m’annonce donc qu’il va la rejoindre après notre échange, malgré l’heure tardive, pour à son tour batifoler sexuellement. L’idée m’excite instantanément, et m’enlève surtout une légère culpabilité. Pour moi, il ne pouvait y avoir d’autres manières pour que l’expérience soit parfaitement épanouissante pour tout le monde. Je vais pouvoir rêvasser des ébats de mon chéri dans les bras de mon amant, tandis qu’il sera avec une autre. Et tout cela en live, même si je ne serais pas à l’écoute. Et j’avoue ne pas en avoir envie. Je suis exhibitionniste, mais pas voyeuse. Je préfère savoir, et imaginer, que voir et/ou entendre. J’ai donc particulièrement apprécié ce moment où, retrouvant les câlins de mon amant, je le savais déjà en action avec elle. Et de pouvoir également le partager avec S., toujours à l’écoute de mes confidences les plus intimes et sentimentales, tandis qu’il me parle de son coup de fil prometteur avec une nouvelle conquête. Je scrute une dernière fois mon téléphone avant de m’endormir dans ses bras, et je le laisse allumer en mode silencieux, au cas où…

Mon partenaire ronfle, et je n’y suis pas encore habituée. Et puis, inconsciemment ou consciemment, j’ai quand même fortement envie de savoir ce qui se passe à 600 km de là. Avec une microscopique angoisse de “et si ça ne se passait pas bien ? Et si ça se passait “trop” bien?”, je me réveille quelques heures plus tard, en pleine nuit. Pas de signe de vie…Je m’enquière donc de son état par sms. Et oh surprise, il me répond presque instantanément. Ça s’est bien passé pour lui physiquement… il l’a “démontée” un long moment (car oui, il est plutôt du genre très endurant…). Mais je lui manque terriblement, et une sorte d’amertume se glisse dans le fond de sa gorge : il préférerait évidemment que je sois dans ses bras. J’en suis attristée pour lui. Car c’est bien le risque que nous prenions à jouer ce jeu. Nous ne pouvons à aucun moment nous retrouver réellement, et aucun substitut ne peut remplacer le goût de nos peaux. Après quelques paroles d’amour et de tendresse réconfortantes, nous constatons chacun que notre partenaire est dans la même position : bien endormi, allongé sur le ventre, nu dans le lit. Notre ultime complicité sera alors de réveiller ensemble nos amants respectifs et de jouir simultanément de la situation. Un souvenir inexorable de cette nuit particulière, il y a cinq ans : ma nuit la plus fauve.

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